Le retour des séducteurs par François Guérard Dans l’art de la séduction, l’homme québécois ne serait pas de taille à rivaliser avec le Français, l’Italien, l’Espagnol, ou le Belge. Qu’à cela ne tienne, des gourous de la drague viennent à son secours. Notre journaliste a fait enquête. Ce soir, le petit bar du Plateau-Mont-Royal est interdit aux femmes. L’écriteau sur la porte indique «Fermé». Sous une lumière orange, une société secrète de séducteurs tient réunion. Une trentaine de gars, ayant entre 20 et 45 ans, discutent en anglais, assis en rond. Ils sont francophones et anglophones, de toutes origines ethniques. À tour de rôle, ils exposent un problème ou décrivent une rencontre dans un café, un flirt sur la piste de danse. Les autres analysent et dissèquent. Le grand timide assis à ma droite note frénétiquement tous les trucs de drague dans son calepin. Les gars cachent leur identité derrière des pseudonymes: Buddha, Jetset, Vic 20, Cowboy. Moi aussi, je dissimule la mienne. Personne ne sait que je suis journaliste. Et c’est mon tour de parler.
Les membres du Montreal Seduction Lair (le repaire des séducteurs de Montréal) ont brisé le tabou. Ils interprètent les détails d’un flirt avec une minutie toute féminine. Comme le feraient de bonnes amies autour d’un thé vert. «Combien de temps devrais-je attendre avant de répondre à son courriel?» «Que devrais-je lui écrire?» «J’ai ramené une fille chez moi la nuit dernière, mais nous n’avons pas fait l’amour. Qu’ai-je fait de mal?» C’est le genre de questions qu’ils posent.
La consultante en séduction Marie-France Archibald fait de bonnes affaires en offrant des cours privés de drague aux hommes de la région de Montréal. Pour un tarif moyen de 95 dollars l’heure, la jeune femme prépare ses clients à affronter différentes situations: aborder une femme dans un bar, un flirt au bureau, une sortie au théâtre. Les clients peuvent aussi profiter des services d’une styliste pour refaire leur garde-robe et d’un photographe professionnel, histoire de mieux paraître dans les sites Web de rencontre.
L’homme qui s’assoit seul au bar et attend qu’on le courtise pourrait être déçu. Car à peine 7% des Québécoises croient que c’est à elles de faire les premiers pas, révèle un sondage CROP commandé par L’actualité. Elles sont 34% à penser que l’homme doit faire les avances, et 54% estiment que cela n’a aucune importance. Fait étonnant, les jeunes de 18 à 34 ans (hommes et femmes) sont les plus conservateurs. Près de la moitié — 43% — confient la tâche de draguer à l’homme.
Michel Dorais, lui, va dans le sens du «plutôt mauvais». Le Québécois n’est pas de taille devant le Français, l’Italien, l’Espagnol et le Belge, dit-il. Car le flirt est un jeu qui se pratique beaucoup en Europe et très peu de ce côté-ci de l’Atlantique. Le sociologue se promenait récemment dans les rues de Namur, en Belgique, aux côtés d’une séduisante collègue. «Cinq ou six passants se sont arrêtés pour la complimenter sur sa beauté. Chaque fois, elle répondait: “Merci.” On ne voit jamais ça au Québec!»
On peut trouver des éléments de réponse dans la culture, dit Michel Dorais. «Au Québec, la notion de charme appartient à l’espace féminin, alors qu’en Europe l’image du séducteur masculin est très présente.» Giacomo Casanova, l’aventurier qui sévissait dans les cours européennes au 18e siècle, et les personnages fictifs de Don Juan et de Cyrano de Bergerac envoûtent les femmes par la parole. L’aspect physique importe peu. Ce sont le raffinement et la poésie des mots qui font fondre les cœurs. Ce modèle n’existe pas dans la psyché collective des Québécois, dit le sociologue. Le grand séducteur s’incarne dans deux personnages de la littérature du terroir: le Survenant, héros du roman éponyme, et Ovila Pronovost, le mari d’Émilie dans Les filles de Caleb. Ce sont des hommes mystérieux, grands, musclés, la plupart du temps absents. «La seule présence de leur corps suffit à séduire», dit Michel Dorais. Les choses étaient plus faciles pour l’homme il y a 50 ans, lorsque les rôles sexuels étaient clairement définis. Le samedi soir, l’homme ne sortait jamais sans son veston, sa cravate et son chapeau. C’était lui le chef. Il invitait la femme à la salle de danse, il payait pour elle. Henri, un petit barbu énergique de 80 ans, se souvient des jeux de séduction dans le Montréal de l’après-guerre. Il travaillait alors comme machiniste dans la métropole. «Nous faisions la cour aux femmes. Il fallait leur ouvrir la portière de la voiture. Les complimenter sur leur habillement et leur coiffure. Leur faire sentir que c’étaient elles les reines de la soirée.» L’effort en valait la peine, puisque Henri, qui ne s’est jamais marié, a eu une soixantaine de maîtresses! «Pourtant, je n’étais pas le genre d’homme à faire tourner les têtes dans la rue», dit-il. On pourrait croire qu’en 2007 la danse reste une activité propice au flirt. Danser la salsa, par exemple, c’est jouer à la séduction. Les corps se touchent, les regards plongent l’un dans l’autre. C’est l’homme qui guide. Au Salon Daomé, au pied du mont Royal, la proportion est de quatre hommes pour six femmes. Une vingtaine de jeunes filles sont assises sur des canapés le long des murs et attendent une invitation à danser. Corinne Morin, elle, ne manque pas de partenaires. Cette grande brune de 26 ans est sexy dans son chandail rouge moulant et elle se déhanche bien. Elle est venue seule. Pourtant, un homme serait mal avisé de lui demander son numéro de téléphone. Pas plus à elle qu’aux autres filles. «Je ne viens pas ici pour me faire draguer. Je viens pour danser», dit-elle, soufflant entre deux pièces musicales. «La plupart des filles, ici, n’aiment pas les hommes qui tentent de les séduire. Elles veulent pratiquer un sport, de façon amicale.» Après un demi-siècle de féminisme, la femme est devenue un peu comme l’hiver québécois: lumineuse et froide. Elle brille, est sûre d’elle, intelligente, ouverte et fonceuse. Mais son assurance est une arme à double tranchant. Elle peut interpréter les avances d’un homme comme un manque de respect, une atteinte à son intimité. Elle réagit alors avec la froideur d’un iceberg. Sylvain d’Auteuil, 39 ans, en a fait la dure expérience. Pour écrire Brad Pitt ou mourir (Les Intouchables) — roman dans lequel il raconte les difficultés d’un jeune père célibataire à trouver une nouvelle copine —, il s’est lancé, en 2005, dans un véritable rallye de la drague. Il a d’abord recruté trois hommes trentenaires en mettant une petite annonce dans un journal culturel de Saint-Sauveur. Pendant un mois, les quatre mousquetaires ont abordé des filles dans les bars, dans les boutiques, dans la rue, au supermarché. «On utilisait des techniques trouvées dans Internet», dit l’auteur. Dans la grande majorité des cas, ils se sont fait répondre par un soupir ou un regard glacial. Avec les femmes d’origine étrangère, cependant, c’était différent. «Elles répondaient à nos avances par un sourire. On pouvait même quelquefois entamer la conversation et obtenir leur numéro de téléphone.» Cette expérience lui a permis de trouver un excellent endroit pour draguer: la buanderie. Les femmes y sont souvent seules et s’ennuient en attendant la fin des cycles de séchage. Marc Boilard, lui, croit avoir trouvé la solution pour désamorcer le mécanisme de défense des femmes. Je rencontre le gourou de 40 ans dans sa tanière, le Shed Café, resto-bar branché du boulevard Saint-Laurent. «Je viens souvent manger ici», dit-il en recevant un bol de soupe thaïe des mains d’une jolie serveuse à la robe moulante. Il a le crâne rasé, porte un large bracelet de cuir clouté et de petites lunettes rondes. Ses biceps roulent sous son chandail ajusté. Marc Boilard affirme qu’il fonde ses enseignements sur son expérience personnelle avec les femmes. Qu’il en a connu beaucoup. Mais il refuse de dire combien. «Pense à un chiffre et c’est plus que ça», lance-t-il. Il pratique une technique de drague en trois étapes qui rappelle celle de la guérilla. Il attaque, il bat en retraite, puis il relance l’attaque. Marc Boilard m’explique. L’autre jour, dans ce même établissement, une jolie demoiselle qui mange avec des amies lui tombe dans l’œil. Elle se lève et se rend aux toilettes. Profitant du moment, il l’intercepte. «Je lui ai dit: “Excuse-moi. J’aimerais te faire un compliment. Tu es vraiment mon genre de fille.”» Puis, sans en dire plus, il retourne à sa table. «Après cette manœuvre, la fille est déstabilisée, ajoute Marc Boilard. Elle repasse dans sa tête ce qui vient de se produire. De retour à sa table, elle va raconter l’histoire à ses amies. Tu deviens son centre d’intérêt. Lorsque tu l’accostes de nouveau, elle n’a pas peur. Elle veut entendre ce que tu as à dire.» C’est ce qu’il a fait lorsqu’elle s’est levée pour quitter le café. «Il faut qu’on se revoit, lui a-t-il déclaré. J’aimerais beaucoup t’inviter à un spectacle.» Elle a dit oui et il a obtenu son numéro de téléphone. Un homme qui maîtrise ce genre d’approche (il faut rester naturel!) marquera des points, assure la consultante en séduction Marie-France Archibald. «L’audace et la confiance en soi sont des qualités qui séduisent les femmes.»
L’agence Intermezzo le fait… pour 1 530 dollars par année. Chaque client a une relationniste attitrée qui joue le rôle de l’amie organisant un rendez-vous galant. Le lendemain, il peut l’appeler pour obtenir un son de cloche sur l’intérêt que l’éventuelle soupirante a manifesté à son endroit. «Habituellement, lorsque la relationniste lui répond “feu vert”, ça lui donne un élan incroyable!» dit Jean-Marc Larouche. Au cours des rendez-vous suivants, il se transforme en véritable séducteur avec sa belle. Et il dégrafe son soutien-gorge. *Disclaimer: This article is copyright Francois Guerard and was originally published on February 15, 2007 for L'actualite. All rights, titles and interests in any images or clips, used herein under Fair Use and Fair Copying, remain the property of the author. P.S. Do you Agree With This Article? Disagree? Have something to Add? Write your thoughts in the comments below and share this article to see how many of your friends think like you.
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